"N'accablons pas l'école"

Publié le par Thierry Berthou

Lu dans le journal

L'école est l'un des trois grands lieux de l'éducation, après le milieu familial, à côté et avant un troisième lieu : c'est la part nécessaire de l'éducation qui n'est ni familiale ni scolaire. A-t-on suffisamment conscience de la spécificité de l'école comme lieu éducatif ? Parler d'instruction est limitatif. Dans l'école, l'éducation est fondamentalement entrée dans la culture. On ne devrait pas avoir honte de parler de culture scolaire.
Des critiques excessives tendent à surcharger l'école de responsabilités dans les problèmes de société. Il y a un siècle, Péguy disait déjà qu'il n'y a pas de crises de l'école en elle-même, mais que les crises de civilisation pénétraient dans l'école. L'institution scolaire est une partie de cette société : elle n'a pas le pouvoir, à elle seule, de contrer les tendances inégalitaires de la société. Il est illusoire ¯ et destructeur ¯ de lui demander de réaliser par elle-même une société idéalement juste. On évoque excessivement la panne de l'ascenseur social.
On oublie que l'école républicaine n'a jamais assuré la promotion des couches populaires que par la progression d'une minorité. Il y a beaucoup à faire pour que ce processus s'amplifie. Car il demeure possible. Seulement, il faut y croire. Tout ce qui tend à répandre la conviction qu'il n'y a plus rien à espérer de l'école a un effet démobilisateur ravageur. En fait-on assez pour que les minorités qui croient à la promotion sociale par l'éducation soient encouragées à s'investir dans l'école ? Enfin, il faut le répéter sans cesse, les enseignants (instituteurs et professeurs) et tous les membres de l'institution scolaire, constituent tous ensemble le principal médiateur culturel de la société démocratique. Ils ont en charge de permettre aux enfants non seulement de maîtriser les principaux instruments de la connaissance (lire, écrire, compter...), mais aussi de les faire entrer dans les grands héritages de leur civilisation.
En ce sens, le lieu scolaire a quelque chose d'inactuel. Donnant à la nouvelle génération un solide ancrage dans la culture héritée, l'école lui permet d'aborder le futur. Pour conclure, méditons les pa-ges lumineuses d'Hannah Arendt, dans La crise de la culture (1), à propos du sens de l'éducation : « C'est avec l'éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d'entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n'avions pas prévu, mais, les préparer d'avance à la tâche de renouveler un monde commun. »

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